Le Monde, 1er juillet 2009 :

Les pays du Buëch ou l’autre route de la lavande

par Martine Laronche

Les pieds dans la lavande, la tête dans les étoiles : une image qui fleure bon la Provence ? Pas seulement. Il existe une autre route de la célèbre plante aromatique. Elle chemine dans un département - les Hautes-Alpes - plus connu pour ses stations de sports d’hiver, au nord, que ses champs de lavande en fleurs, au sud.

A l’écart des grandes routes touristiques, parce que plus enclavés, les pays du Buëch, en dessous de Gap, sont surnommés la Provence des montagnes. Quant à leurs cieux, ils font, grâce à l’absence de pollution lumineuse, le bonheur des astronomes amateurs.

A la limite de la Drôme provençale, on prend de la hauteur avant d’arriver à Rosans, petit village médiéval situé à 700 mètres d’altitude. L’été, sa tour carrée de la fin du XIIe siècle accueille les artisans d’art et les marchands de produits locaux. C’est là, entre autres, que Jean-François Roussot et Dominique Jégouic, distillateurs de plantes aromatiques et médicinales, vendent, les mois d’été, leurs huiles essentielles et eaux florales aux multiples vertus.

Si la tour carrée, dénommée tour sarrasine, vaut le coup d’oeil, il est tout aussi recommandé de visiter la Rivière des Arômes, l’exploitation de ce couple de producteurs, qui ouvrent leur porte les jeudis de juillet et d’août. En arrivant dans la cour, on est assailli par les odeurs puissantes de lavande, de laurier et d’huiles essentielles en cours de distillation.

Adepte de l’agriculture biologique et artisanale, Jean-François récolte ses plantes à la faucille et au sécateur. Son espace de cueillette couvre 26 hectares de landes dont un seul est cultivé, les autres étant couverts de plantes sauvages. "Quand l’humain est monté sur un tracteur, dit-il, il a perdu de sa relation avec la plante."

Son chapeau de paille enfoncé sur la tête, ce passionné arpente son champ de lavande en fleurs, la plante la plus répandue sur ses terres. Il cultive du lavandin, un croisement de lavande fine que l’on trouve en altitude et de lavande aspic qui pousse en dessous de 700 mètres. Sur de petites parcelles, le millepertuis, l’estragon, les roses, la coriandre, la mélisse, la camomille, etc. finiront, elles aussi, en eau florale et huiles essentielles.

Dans le hangar, posées sur de grands draps, des brassées de bleuets attendent d’être distillées. Elles sont bientôt jetées dans une cuve en cuivre, vase de distillation. Celui-ci est relié d’un côté à la chaudière, de l’autre à la cuve de refroidissement où la vapeur, après avoir traversé les plantes, va se condenser pour donner l’eau florale.

Les routes de la lavande, que l’on peut pratiquer en VTT, traversent le Buëch. Du village médiéval d’Orpierre ou de Serres, elles passent par l’Epine, le col des Tourettes, la vallée de l’Oule et le col de la Fromagère jusqu’à Rosans. Entre ciel, lavande et montagne, les pays du Buëch, situés aux confins du Dauphiné, offrent de fortes similitudes avec la Drôme. D’ailleurs, un parc naturel régional, à cheval entre les départements (Hautes-Alpes et Drôme) devrait bientôt être créé. Escalade, VTT, deltaplane, parapente, sentiers de randonnées, vol libre, agriculture : l’objectif est de coordonner les multiples activités qu’offre le site.

Dans ces contrées du Buëch, de nombreux urbains sont venus poser leurs valises, à la recherche de tranquillité mais aussi de ciel pur. Marc et Hélène Bretton ont ainsi ouvert un gîte à Moydans, le Mas du Grès.

Consultant en informatique, Marc se promène dans la carte du ciel comme un automobiliste sur une carte Michelin. En 2006, il a choisi de quitter la banlieue lyonnaise et de se poser sur cette colline surmontée par le sommet du Risou. Il ne manque pas d’arguments pour expliquer son choix : "d’abord, le Sud-Est compte le plus de nuits observables, environ 250 ; ensuite, il fallait trouver un coin un peu perdu, loin de la pollution lumineuse des grandes villes ; enfin, à 800 mètres d’altitude, on se trouve au-dessus des nappes d’humidité".

Dans le département des Hautes-Alpes, à l’occasion de la nuit des étoiles, le 24 juillet, les villages seront invités à éteindre toutes leurs lumières. Ce sera la fête à l’Aiglière, un gîte tenu par un couple d’architectes férus d’astronomie, mais aussi d’oenologie et de gastronomie.

Située à quelques kilomètres de Veynes, au hameau de Glaise, à 1 200 mètres d’altitude, cette table vaut le détour. Débordante de vie, Hermine Bonneuil, la maîtresse de maison, connaît aussi bien les orchidées et les papillons - qu’elle débusque avec amour dans les champs environnants - que les étoiles qu’elle piste avec son télescope. Et si l’on goûte ses cakes d’orties, terrine de foie de volaille au foie gras et autre chartreuse d’agneau, on succombe définitivement à l’accueil et aux charmes des lieux.

Martine Laronche